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« L’humain et la santé avant tout le reste.»

Julia, 41 ans, responsable comptable et financière d’une ONG. Quartier Monmousseau-Vérollot.
Propos recueillis le 11 avril.

Je m’attendais un peu à ce que le confinement soit mis en place, notamment parce que mon conjoint travaille pour l’Agence régionale de santé. Mais au début, j’avoue que je ne croyais pas vraiment que nous en arriverions là. Je pensais qu’il y avait un peu de psychose autour du coronavirus. Et puis la réalité s’est fortement signifiée au travers des mesures de confinement. Désormais tout le monde a bien conscience de cette réalité. Et puis j’ai moi-même une tante à l’hôpital et des proches de certains de mes amis sont décédés du Covid-19…

Notre système ne semble pas armé pour faire face à une telle crise sanitaire. On voit l’impact de toutes les coupes budgétaires sur la santé. Quant au confinement, qui est une bonne mesure selon moi, il n’est pas vécu par tous pareillement. Il fait ressortir toutes les inégalités sociales.

À mon niveau, j’ai dû m’organiser, puisque mon conjoint est très mobilisé et travaille six jours sur sept de 8h à 20h. J’ai été obligée de mettre un peu de côté mon engagement à la FCPE de l’école Solomon, même si nous essayons avec les autres parents d’élèves d’imaginer des solidarités comme imprimer les devoirs de classe pour tous. Par ailleurs, j’ai mis mon travail en stand-by. Je suis en arrêt pour garde d’enfants même si, de fait, je participe à des réunions tous les trois jours via Internet. Mon conjoint fait au mieux pour me permettre d’avoir du temps pour assurer ce travail.

C’est effectivement compliqué avec mes deux enfants en bas âge (3 et 6 ans). Et encore, nous avons de bonnes conditions de vie. C’est beaucoup plus difficile pour d’autres !

J’ai pris la casquette de maîtresse d’école pour mes deux enfants. Pour l’aîné, en CP, l’école envoie  beaucoup de devoirs. Ce n’est pas évident à suivre. Pour moi, l’urgence, c’est de bien vivre avec ses enfants en ce moment de confinement. J’ai pris le parti de prendre du recul : ne pas forcément faire tous les devoirs, mais ce qu’on peut. Le côté positif c’est de me retrouver avec mes enfants, dans un univers familial plus présent, avec les joies simples du quotidien. On replace l’humain et la santé avant tout le reste : business, travail… C’est plutôt une bonne chose.

Dans le quartier, beaucoup de solidarités se mettent en place entre les habitants : on fait les courses les uns pour les autres, on se donne des astuces, on garde le lien… J’aimerais davantage contribuer. J’ai d’ailleurs proposé mon aide à la Maison municipale de quartier, mais je suis très prise par mes enfants.

Je sors peu, mais je me sens un peu coupable dès que je mets le nez dehors. On sent les gens tendus quand on sort faire les courses. C’est le revers de la médaille : parfois les gens se montent les uns contre les autres et je crains à terme la montée de certains extrémismes. Selon moi, on respecte le confinement comme on le peut.

« À l'Agence régionale de santé, on gère la pénurie. »

Jean-Michel, 42 ans, ingénieur biomédical à l’Agence régionale de santé. Quartier Monmousseau-Vérollot.

Depuis le début de l’épidémie, je suis P1 (priorité 1), c’est-à-dire que je suis réquisitionné pour être physiquement présent au siège de l’Agence régionale de santé (ARS). C’est une volonté politique de notre direction que nous soyons présents pour être au cœur de la lutte contre l’épidémie. Dans d’autres ARS, la majorité des agents font du télétravail pour des raisons sanitaires.

Nous sommes moins dans notre rôle régalien habituel : faire appliquer le Code de santé publique par exemple. Avec cet état d’urgence sanitaire, nous nous occupons davantage que d’ordinaire de la question du matériel biomédical (masques, gants, tests, appareils respiratoires…). D’habitude, nous ne gérons que les équipements lourds comme les scanners. Aux deux circuits classiques de répartition de matériels, celui de Santé publique France qui les distribue aux hôpitaux et le circuit qui s’occupe de la médecine ambulatoire et de ville, l’ARS a mis en place un troisième flux.

Nous essayons d’arroser tous les trous de la raquette : boucher les trous en répondant aux besoins de structures comme les Ehpad ou celles qui assurent l’aide à domicile. Autre chose que nous ne faisons pas habituellement, c’est de faire jouer la solidarité entre les différents établissements biomédicaux. Nous recensons les besoins, mettons en relation les structures. Par exemple, si une petite clinique privée, qui n’est pas un centre Covid-19, possède des respirateurs, nous lui demandons de les mettre à disposition.

J’ai des journées bien remplies, et j’avoue que ça commence à tirer un peu. J’ai désormais trois missions. Je fais partie de la cellule Ressources, que ma cheffe dirige. Je dirai, en tant que militant syndical, que nous gérons surtout la pénurie de moyens.  Je suis également membre de la cellule Tests et de la cellule Imagerie médicale puisque le diagnostic du Covid-19 doit se faire avec les techniques de biologie médicale et non de radiologie.

Notre système de santé s’adapte et fait face comme il le peut : le nombre de lits de réanimation a été quasiment doublé en Île-de-France par exemple. Mais nous payons en direct le manque de considération du système de santé par les gouvernements successifs. Ce qui explique le manque de masques, de tests pour les malades hospitalisés et pour le dépistage. L’État veut reprendre la main sur les circuits de distribution, mais cela déséquilibre les flux classiques. Et le problème, c’est que si un établissement public commande à un labo 200 tests et un privé 3000, le labo va privilégier la plus grosse commande…

Nous faisons remonter des données quantitatives aux autorités de l’État. Mais l’ARS n’est qu’un « tuyau » des autorités nationales. Nous écrivons des doctrines, autrement dit des préconisations, mais qui s’inscrivent dans la logique de la doctrine nationale de l’État. Ceci dit, la stratégie est en train d’évoluer. Nous allons passer à un dépistage plus massif. Depuis la fin de semaine, nous avons également mis en place des structures mobiles dans les Ehpad et les structures d’accueil pour les handicapés ou pour les migrants. L’État a livré du matériel venu de Chine aux CHU  et que nous essayons d’installer au plus vite avec des équipes de volontaires bénévoles. Il y a une énorme vague de solidarité dans la population. Et les médecins, les infirmières voire même des énarques veulent mettre leurs compétences à disposition.

« Je me suis lancée dans la confection de masques »

Fina Arte, 66 ans, retraitée et présidente de l’association Sentier des Vignes. Quartier Louis-Bertrand.
Propos recueillis le 8 avril.

Le confinement, ça commence à faire très long ! Heureusement j’ai un petit jardin et je peux aller au poulailler, mais je n’y reste pas longtemps. Je fais vite les courses, en me  protégeant le plus possible. Je vis avec ma maman de 87 ans donc je fais trois fois plus attention. Mon mari est en Ehpad (établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes), donc c’est une angoisse en plus. Mais bon, c’est dur pour tout le monde. Avec la famille et les amis, on se téléphone. Et avec les voisins, on se dit bonjour de loin en se demandant si tout va bien. Nous essayons de nous entraider. Dans le cadre de l’association, il y a une solidarité qui s’est mise en place avec des courses pour les personnes âgées du quartier. Cette solidarité existait déjà avant la pandémie, mais elle est exacerbée aujourd’hui.

Je me suis lancée dans la confection de masques de protection en tissu, lavables. Je les fabrique à la machine avec des tissus que j’ai chez moi. Une personne m’a envoyé le patron des masques à partir de celui utilisé par un hôpital : c’est deux couches de coton et une couche de polaire à l’intérieur. J’en ai fait une cinquantaine : un pour moi pour aller faire les course et d’autres pour ma famille.

Et j’en ai donné vingt à la mairie pour les personnels qui travaillent sans protection. Je vais en fabriquer également une vingtaine pour en envoyer à l’Ehpad de mon mari, en Haute-Garonne. J’en vends juste quelques uns à des particuliers pour pouvoir acheter les élastiques, qui ne sont pas donnés !

J’espère que cette pandémie va vite s’arrêter, mais je crains que ça continue encore longtemps, malheureusement. J’essaie de faire le tri dans les informations que l’on reçoit et dont certaines font peur.

« Garder le moral et suivre les restrictions qu'on nous impose. »

Amélie, 83 ans, comptable retraitée. Quartier Centre-ville.

 Au début, ça allait plutôt bien. Mais la situation commence à me peser aujourd’hui. Mes enfants et ma famille me manquent. Je reste en contact avec eux par téléphone ou WhatsApp et je vais me mettre à utiliser Zoom. Mes enfants m’apportent des courses sur mon palier et je leur dis au revoir depuis mon balcon.

Je ne sors pas de chez moi à part pour me promener chaque après-midi, dans  les espaces verts de ma résidence, avec un masque de fortune. Ce qui me manque c’est de parler. Je me parle à moi-même ne serait-ce que pour entendre le son de ma voix. Les gens de la Maison de quartier m’envoient régulièrement des mails pour savoir comment je vais. Je reste aussi en contact avec l’Association des retraités d’Ivry pour les loisirs et la solidarité (Arils), avec lesquels je jouais au bridge. Je continue à jouer, mais sur l’ordinateur. Je regarde aussi la télé et je fais des grilles de sudoku.

Je ne sais pas quand le confinement se terminera. J’ai entendu dire qu’il durerait jusqu’en septembre et que les plus âgés, comme moi, seraient confinés jusqu’à la fin de l’année ! On entend plein de rumeurs différentes. Les membres du gouvernement doivent être plus au courant que nous. Mais quand on voit qu’eux-mêmes n’ont ni masque, ni gants, pas étonnant que nous n’en ayons pas non plus.

L'important est de garder le moral et de suivre les restrictions qu'on nous impose, au maximum. Aimons-nous et aidons-nous les uns les autres. 

« Ne pas se créer de dettes ! »

Isabel, 57 ans, co-présidente de la Confédération nationale du logement d’Ivry (CNL). Quartier Centre-ville.
Propos recueillis le 10 avril.

Il y a quelque chose de paradoxal dans la situation que nous vivons. Il faut rester chez soi et se tenir à un mètre de distance quand on sort, mais nous avons besoin d’être ensemble ! L’intelligence est forcément collective.

À notre niveau, à la Confédération nationale du logement (CNL), il est difficile de militer en période de confinement. Mais nous avons mis en place une sorte de veille téléphonique. Nous appelons plusieurs personnes par jour, adhérents de notre association. Nous avons commencé par les plus âgés. Nous entendons toute l’horreur de la situation (personnes malades, isolées,  témoignages de décès qui ont eu lieu dans la solitude…), mais aussi toutes les joies, les solidarités qui s’organisent, même là où elles n’existaient pas forcément auparavant. Une femme qui partage son appartement de 40 m2 avec huit autres personnes nous a même confiée une astuce : elle impose une heure de silence par jour chez elle et nous dit que même le petit de 2 ans est content. « On le déguste, ce silence », m’a-t-elle dit.

On nous parle aussi de toutes les difficultés financières qui découlent de ce confinement, l’argent du chômage partiel qui tarde à arriver… Toutes les aides n’ont pas encore été mises en place.

Mais quand on le peut, il faut absolument payer son loyer. Cela permet de faire fonctionner les Offices HLM et autres bailleurs sociaux, mais surtout, à titre individuel, de ne pas se mettre en difficulté en repoussant l’échéance. Il ne faut pas se créer des dettes ! Quand on est en logement social, ou même privé, il existe des aides : via le Centre communal d’action sociale (CCAS) ou les services sociaux des bailleurs. Il ne faut pas avoir peur de faire appel à ces services sociaux, ni se laisser déborder par les difficultés économiques. De même, chacun peut contester les pénalités infligées par certains bailleurs en cette période où beaucoup subissent des difficultés financières.

Des droits ont été acquis dans notre pays, il faut les revendiquer. Cette protection sociale va sûrement nous permettre de sortir de ce marasme d’une meilleure manière qu’ailleurs. Et il ne faut pas hésiter non plus à nous contacter à la CNL, en tant que représentants des locataires.

Je constate également que ce qui était déjà organisé permet de faciliter les choses. Quand des Amicales CNL existent dans des cités, cela se passe mieux. Et c’est la même chose au niveau de la ville : la solidarité n’y date pas d’hier et fonctionne aujourd’hui. Nous sommes dans une ville extraordinaire où l’outil de solidarité est particulièrement aiguisé. L’organisation municipale permet de répondre à beaucoup de choses. Mais là, il faut apprendre à demander, comme cette petite dame qui ne voulait jamais demander quoi que ce soit et qui est aujourd’hui ravie de l’aide à domicile.

Par ailleurs, ce confinement crée des conflits de voisinage ou au sein des foyers, voire de la violence. Il faut apprendre de soi, de sa famille, de ses voisins. Faire attention à tout l’entourage.

Enfin, philosophes et médias opposent souvent sécurité et liberté. Pour moi, il n’y a pas de sécurité sans liberté ni solidarité.

Le blog de la CNL d’Ivry : www.cnlivry.wordpress.com
Contact : cln.ivry@free.fr

« On se sent un peu prisonnier »

Josiane, 74 ans, retraitée, ancienne technicienne de laboratoire à l’Institut Pasteur. Quartier Petit-Ivry.
Propos recueillis le 10 avril.

Jamais je n’aurais imaginé que nous vivions un jour en Europe une épidémie de la sorte. Quand le président de la République a annoncé le confinement, j’ai trouvé qu’il y avait trop de cafouillage. Le confinement aurait pu être décidé bien plus tôt au vu de la situation en Italie ou en Chine. On nous a ensuite dit qu’il n’était pas nécessaire de porter des masques, mais c’est surtout parce qu’il n’y en avait pas ! Un jour un ministre nous dit quelque chose, le lendemain un autre nous en dit une autre ! Disons, pour rester correcte, que je ne crois pas trop à la parole de Macron.

En ce qui concerne les mesures de précautions, certains gestes me sont un peu plus faciles que la moyenne. J’ai travaillé comme technicienne de laboratoire à l’Institut Pasteur, en immunologie et pas en virologie, cependant. Mais je sais désinfecter tout ce que je pense avoir touché avec un Sopalin imbibé du produit que j’utilise pour nettoyer mon évier : clés, monnaie, poignées de porte… Ce qui me choque, c’est la façon dont les gens enlèvent leurs gants. Je vous donne une astuce : c’est important de retirer de la main droite le gant de la main gauche en le retournant sur le revers non contaminé et d’enlever avec celui-ci le gant restant.

Au quotidien, je m’occupe comme je peux. Je regarde mes mails au lever, notamment les messages d’un copain qui m’envoie beaucoup de photos. Ensuite, je prends soin de mon appartement : il n’a jamais été aussi nickel (rires) ! Je m’occupe aussi de mon balcon, même si je ne peux plus acheter de fleurs. Ensuite, je bois le thé à 16h en appelant mes amis, histoire de ne pas le prendre seule. Et je me promène une heure par jour, comme c’est autorisé. Je découvre même des coins d’Ivry que je ne connaissais pas.

D’ordinaire, je suis très active : je suis membre de l’Association des retraités d’Ivry pour les loisirs et la solidarité (Arils) pour laquelle j’organise les sorties culturelles en Île-de-France ; je fais du sport avec l’USI Génération 3 ; je vais aux « ciné-thé » qu’organise le cinéma municipal Le Luxy ; je fréquente les théâtres de la ville… C’est sûr que tout cela me manque, surtout les randonnées avec les copines et la visite des musées parisiens. On se sent un peu prisonnier. Heureusement qu’il y a le téléphone et les mails (et ce n’était pas mon truc jusqu’il y a peu, je m’y suis mis sur le tard). Mais il y a bien pire que moi ! Même si je suis seule, j’ai la chance de vivre dans un appartement agréable. Je pense à ceux qui sont à la rue, dorment à l’hôtel ou sont nombreux dans des petits logements avec des enfants. La fille d’un amie et son conjoint font tous les deux du télétravail tout en s’occupant de leurs enfants de 2 et 4 ans. Nous qui sommes à la retraite, nous avons du temps libre, nous pourrions nous occuper des enfants, mais ce n’est malheureusement pas possible à cause de l’épidémie.

Heureusement, beaucoup de choses sont mises en place à Ivry. Le Luxy nous permet de visionner trois ou quatre courts-métrages par semaine et je tire mon chapeau à la mairie pour l’organisation du marché du Centre-ville le vendredi matin. Marquage au sol, gel hydroalcoolique, respect des distances de sécurité… Tout y est.

Je tire aussi mon chapeau aux infirmières, aux enseignants, etc. J’espère que tous les remerciements qu’on leur adresse ne seront pas des paroles en l’air une fois que tout sera terminé.

Quant au déconfinement à venir, je ne suis pas prête de sortir, moi qui ai plus de 70 ans. Même si j’ai été bien gentille en suivant toutes les consignes, c’est un peu la double peine : je serai dehors à la Saint-Glin-Glin !

Des soignants en première ligne

Annie, 58 ans, infirmière de nuit à l’hôpital Necker et déléguée syndicale Sud santé AP-HP (Assistance publique - Hôpitaux de Paris). Quartier Petit-Ivry.
Propos recueillis le 6 avril.

« Depuis le début de l’épidémie, je travaille principalement dans les services hospitalisation et soins continus pour adultes. Je fais partie de l’équipe de suppléance de nuit. Nous remplaçons pour une courte durée le personnel là où il manque. Mes journées commencent à 21h et se terminent à 7h. Mais avec la pénurie de personnel, nous allons probablement passer aux douze heures de travail, le temps de l’épidémie.

À Necker, il n’y a pas d’urgences adultes mais plusieurs services d’hospitalisations : transplantations rénale, infectiologie, néphrologie, hématologie. Certains adultes suivis par ces services contractent malheureusement le virus et nécessitent une hospitalisation.

Ce qui a changé pour moi avec cette épidémie, ce n’est pas la somme de travail, c’est la charge mentale. On entre dans les chambres comme si le virus était un peu partout. Quand on sort, on se dit « Je ne touche à rien, car le virus est là. Et j’espère ne pas l’attraper. Et si je l’attrape, j’espère ne pas être dans ce lit-là, voire en réanimation. » On y pense en permanence.

Ce virus a chamboulé notre façon de travailler. Au niveau de l’hygiène, les précautions sont énormes. Cela demande beaucoup de temps. L’habillage et le déshabillage, c’est entre 8 et 10 minutes à chaque passage auprès du patient, et ce au moins toutes les trois heures.

Ce qui me frappe et me met en colère, c’est le manque de matériel pour protéger le personnel. Ce manque est réel ! Au départ, on n’avait pas à compter nos masques… Maintenant si. On économise en se disant que demain, peut-être n’aurons nous plus de stocks.

Nous allons recevoir plus de malades dans les semaines qui viennent. L’autre charge mentale, c’est que l’on sait de plus en plus que l’on va avoir des patients qui vont mourir. Et on se demande dans quelles conditions nous pourrons faire leur accompagnement… Nous avons des collègues très jeunes qui n’ont pas encore connu de deuil. La mort, c’est toujours quelque chose de violent. Et là, encore plus, car il n’y a pas de famille. Cela veut dire que c’est le soignant et le patient, seuls…

Malgré tout, je préfère travailler à l’hôpital plutôt qu’être devant la télévision qui est très anxiogène. On entend en boucle parler de réanimation et de morts… Ce qu’ils ne disent pas assez, c’est que si on en est là, c’est aussi parce qu’on a laissé la situation de l’hôpital public se dégrader. On ne nous a pas entendu ! Depuis deux ou trois ans, les jeunes - vu les conditions de travail au Smic - quittent le métier. Depuis l’hiver dernier, à Necker, des lits ont été fermés clairement par manque d’infirmiers et d’aides-soignants.

On oublie aussi de dire qu’il y a 98% des malades qui s’en sortent sans avoir besoin d’être hospitalisés. Mais bien sûr, personne n’a envie de faire partie des 2% restant… Quand on voit ce qui s’est passé le week-end [des 4 et 5 avril] alors qu’on est en confinement, il y a encore des gens dehors !!! Ils n’ont pas tout compris ou quoi ?!

Il y a trente-cinq ans, j’ai connu l’arrivée du VIH dans les hôpitaux. On ne savait pas où on allait, ni comment se transmettait la maladie… Aujourd’hui l’angoisse est du même type tout en connaissant son mode de transmission. On sait qu’il y a des personnes plus à risques que d’autres, du fait de l’âge, de comorbidité... Et pour lesquels une hospitalisation, plus ou moins en service critique, sera nécessaire.

Le confinement, il faut y rester, car cela évite d’engorger en même temps les hôpitaux. Si on avait laissé faire pendant ces dernières semaines, il y aurait eu des gens qui n’auraient pas eu leur place à l’hôpital. Alors que là, quoiqu’on dise, il y a une organisation qui a fait qu’on a toujours pu avoir un lit. Confiner, c’est attendre patiemment que le danger s’éloigne. C’est laisser le temps aux chercheurs de comprendre ce virus et de trouver des traitements efficaces pour les cas critiques, en attendant un vaccin a posteriori.

Quand je pars à 20h travailler, j’entends des gens applaudir. Cela me touche, bien sûr. Applaudir à 20h, c’est rappeler qu’il y a des malades. Moi je vais à l’hôpital, mais eux ils ont compris que le confinement c’est important !

Merci à mes voisins de prendre soin de moi ! Ils me demandent si je vais bien, me font des courses, voire même de temps en temps à manger. Vraiment, ils me soutiennent, et cela fait beaucoup de bien. Surtout que je connais des collègues qui, eux, ont reçu des petits mots pas vraiment gentils de leurs voisins.

Ce que je ferai à la sortie du confinement ? Retrouver mes amis de l’Adom* et la salsa à Ivry. Ça, c’est un petit bonheur ! D’ici là, restez chez vous ! C’est le meilleur moyen de nous aider, mais aussi de vous protéger. »

* Association de découverte de l’Outre-Mer, dont Annie est la trésorière.

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