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« Ralentir, ça fait du bien ! »

Karima, 39 ans, conseillère bancaire en congé parental et en reconversion professionnelle. Maman de Salma (12 ans), Souheyl (11 ans), Inaya (7 ans) et May (10 mois). Quartier du Petit-Ivry.
Propos recueillis le 24 avril.

Nous avions décidé d'être confinés « heureux », en préparant de bons petits plats, en étant un peu souple sur les horaires... Mais rester à la maison, dans 80 m², avec toute sa tribu, c'est l'aventure ! Au début, je dois reconnaître que c'était assez stressant. Nous avons un bébé qui me demande beaucoup de temps et mon mari télétravaille dans la chambre de mon fils avec un emploi du temps bien chargé. Nous avons la chance d'avoir deux terrasses qui nous sauvent régulièrement la vie !

Comme je suis en congé parental, je peux me consacrer totalement aux enfants mais, avec trois niveaux scolaires différents, ça n'est pas évident ! Je fais de mon mieux, mais il faut une sacrée pédagogie et beaucoup de patience pour être professeur. Heureusement, notre fille aînée, en 6e au collège Henri Wallon, est complètement autonome.

Je craignais que cela soit dur avec mon fils qui est en CM2… Le confinement m'a permis de me rendre compte qu'il était capable de travailler seul, j'en suis très fière! Quant à sa sœur Inaya, qui est en CE1, elle préfère faire ses devoirs avec la grande qui sait comment la prendre. La petite May, elle, a toujours des bras à sa disposition !

En temps normal, la tribu a beaucoup d'activités et nous courons souvent pour réussir à tout faire: la danse, le théâtre... Depuis mi-mars, nous avons été obligés de ralentir le rythme, ça fait du bien ! Je suis davantage disponible pour faire des jeux de société, des activités manuelles, regarder un bon film. Du coup, les relations entre nous évoluent comme si l'épreuve du confinement nous permettait de nous connaître davantage encore, d'approfondir les liens.

Notre regret est en revanche de ne pas pouvoir voir nos familles respectives, car mon mari et moi avons beaucoup de frères et sœurs. Nous restons en contact en visio mais nous sommes impatients de nous retrouver vraiment et de partager un bon repas. Enfin, sortir dehors pour une belle balade, retrouver cette liberté, sera un grand soulagement !

Télétravail, école à domicile et acupuncture : toute une organisation

Amandine, 34 ans, chargée de mission pour l’Établissement public territorial Grand-Orly Seine Bièvre et également en formation d’acupuncture. Quartier Ivry-Port.
Propos recueillis le 23 avril.

Le premier mois de confinement a été particulièrement difficile. Je me suis occupée seule de Solal, mon fils de 6 ans, sans que son père ne puisse le prendre une semaine sur deux comme à l’accoutumée. Je n’ai pas pu trop bosser avant de trouver une organisation. Même si Solal est très cool et sait jouer tout seul.

Depuis quelques temps, je suis en télétravail pour l’Établissement public territorial Grand-Orly Seine Bièvre (EPT GOSB). Je suis chargée de suivre les commandes de masques pour les personnels et la population. J’évalue les besoins et je passe mon temps au téléphone. Nous en sommes à une commande de deux millions de masques pour neuf EPT de la Métropole du Grand Paris. Et les Villes commandent elles aussi de leur côté. L’EPT a passé des commandes de masques à l’entreprise Chantelle de Cachan. Il y a un gros problème d’approvisionnement car il faut les produire, ces masques ! Il a donc fallu faire appel à des sociétés en capacité d’en fabriquer en grande quantité dans des délais serrés. Des entreprises comme Chantelle qui fabrique de la lingerie, ont dû réorienter leurs chaînes de production. Bien obligé puisque L’État a de son côté décidé de réquisitionner à la fois tous les stocks de masques sur le territoire, et ceux qui sortent des usines…

En plus de ce travail, je me forme à l’acupuncture. Et là, je subis un mois de retard dans mes révisions, sans parler du fait que je ne puisse pas pratiquer.

Et puis je fais l’école à mon fils plusieurs heures par jour. Ce n’est vraiment pas évident ! J’essaie de suivre au mieux les consignes, mais elles ne sont pas toujours faciles à comprendre. Je ne maîtrise pas la pédagogie et je vais souvent trop vite. Je ne suis pas maîtresse d’école, moi ! C’est un vrai métier ! Mon fils est en CP et j’apprends des choses. J’ai reçu de l’école une consigne « Expliquez à votre enfant ce qu’est un solide ». J’ai pensé à la différence entre les états gazeux, liquide et solide au départ. Je ne savais pas qu’une forme avec un volume s’appelait un solide, que certaines étaient des polyèdres… Je m’organise au mieux, mais je suis fatiguée et comme beaucoup de gens en cette période, je dors hyper mal.

« Si on a tenu jusque-là, alors on peut tenir un mois de plus ! »

Khadidja, 35 ans, sans emploi, divorcée, élève seule ses enfants de 4 et 6 ans. Quartier Ivry-Port.
Propos recueillis le 27 avril 2020.

Être confinée à trois dans un deux-pièces petit, mal agencé et insalubre, ce n’est vraiment pas facile ! Les portes-fenêtres de la terrasse ne se ferment plus. Quand il pleut, l’eau s’infiltre directement dans la cuisine. J’ai des champignons sur les murs. Il n’y a pas de séparation entre les pièces, l’espace est donc à moitié ouvert. Tout cela alors que mes enfants sont tous deux asthmatiques, et qu’ils auraient donc besoin d’un endroit sain et aéré. Il y a trois ans, alors que j’étais encore mariée, nous avions fait une demande de relogement à l’OPH. Un appartement a été proposé. Mais comme entre-temps, j’étais séparée et que le divorce n’était pas encore prononcé, le logement n’a pu m’être attribué. Cela a bloqué le dossier. Depuis, j’attends.

Je dors peu car je prépare tout le soir : je fais le ménage, j’organise les activités du lendemain pour occuper les enfants et qu’ils ne sentent pas l’enfermement. Je prépare aussi l’école dans la cuisine après avoir tout nettoyé. Au début, ce n’était pas si bien organisé que ça… J’avais du mal avec la pédagogie ! Je vis le confinement sur la terrasse avec les enfants ! Nous y passons tout notre temps, on y fait des activités. Heureusement qu’il y a cette terrasse ! Je suis la seule à sortir pour faire les courses pendant qu’une amie vient garder mes enfants. Ils n’ont pas eu de crise d’asthme car ils sont confinés.

Je ne suis pas d’accord pour que mes enfants reprennent l’école le 11 mai. Avec leur asthme, je n’ai pas envie de prendre le risque pour quelques semaines avant les vacances. Ma fille est en maternelle. Je fais avec elle tous les jours une activité différente. Mon fils est au CP et il fait ses devoirs et ses leçons sur la tablette, tous les jours aussi. Si on a tenu jusque-là, alors on peut tenir un mois de plus !

Si on est déconfinés progressivement, tant mieux. Parce qu’il faut vraiment que l’on commence à pouvoir bouger. J’ai perdu mon emploi pendant les grèves en janvier. Je veux faire une formation de taxi pour avoir d’autres horaires et profiter de mes enfants. Mais en attendant, je dois retrouver une place de serveuse dans la restauration. Malgré tout, dans ma tête, je me suis préparée jusqu’au mois de septembre : jusque-là, je veux garder mes enfants pour les protéger. 

« Hâte de reprendre dans des conditions sûres »

Pascale, 53 ans, chirurgienne-dentiste. Quartier du Centre-Ville.
Propos recueillis le 27 avril.

« Nous avons fermé le cabinet lundi 16 mars. J’étais triste, cela ne m’était jamais arrivée de m’arrêter, même enceinte jusqu’au cou. J’ai eu du mal à réaliser ce qui se passait. Je suis installée à Ivry depuis 1994. J’avais les larmes aux yeux d’abandonner mes patients et mon équipe. Arrêter comme cela, sans savoir quand nous allions pouvoir reprendre, cela a été très perturbant.

Avec mes deux collaborateurs, nous avons dû mettre nos quatre salariés en chômage partiel, et nous leur versons un complément afin qu’ils aient leur salaire plein.

Nous n’avons aucune indemnité, aucune aide, même pour les tenues dont nous aurons besoin pour exercer en toute sécurité après le confinement. La profession est très en colère et se sent délaissée. Comme les podologues, les kinés… qui ont tous dû fermer. Ce alors que les charges courent, même si nous avons eu heureusement un report de paiement. Et puis quand on a une activité de professionnel de santé en libéral dans laquelle on est investi depuis vingt-six ans, et que du jour au lendemain, on se retrouve chez soi… Franchement, j’ai mis un mois pour m’organiser.

J’ai été dans un gros vide, car je n’avais jamais eu l’habitude d’être chez moi, comme cela. Je me suis sentie inutile. J’ai transféré la ligne téléphonique du cabinet à la maison pour faire de la téléconsultation gracieusement, envoyer des mails aux patients et aux pharmacies, réguler les urgences. J’en ai aussi profité pour suivre en ligne des formations professionnelles plus poussées, et c’est un soutien à l’approche du déconfinement.

J’essaie d’anticiper les choses afin que cette reprise soit la moins anxiogène possible. Nous, les chirurgiens-dentistes, l’appréhendons tous, car nous allons être en première ligne. Et certains d’entre nous en sont déjà morts. Bien sûr, nous allons reprendre dans des conditions différentes. Cela réclame énormément de préparation en amont pour nous équiper, organiser les marquages au sol, doter les bornes d’accueil de plexiglass, avoir des plans de travail épurés… afin que tout soit facilement nettoyable. Tout cela permettra de reprendre l’activité sereinement.

Nous allons travailler non pas à trois mais à deux, avec deux praticiens pour quatre fauteuils. Cela va nous permettre d’aérer une pièce à la sortie d’un patient pendant que nous en utiliserons une autre pour le patient suivant. C’est un choix sécuritaire. Nous allons être équipés comme des cosmonautes : visière, masque, gants, charlotte, sur-blouse… Déjà, des patients m’appellent, inquiets, dans le besoin de se faire soigner. J’ai hâte de reprendre.

L’image de la France en a pris un coup

Djimé, 35 ans, animateur associatif. Quartier Monmousseau.
Propos recueillis le 22 avril.

Les deux premières semaines de confinement étaient dures, après on s’habitue. Mais s’il était vraiment respecté, on n’en serait pas là aujourd’hui. Le gouvernement n’a pas fait le nécessaire, on n’a pas ce qu’il faut, à commencer par des masques. On aurait pu éviter tant de morts s’il avait fait ce qu’il fallait. Il n’a pas anticipé.

Quand on voit qu’un pays riche comme la France en arrive là… alors que des pays d’Afrique s’en sortent mieux ! L’image de la France en a pris un coup.

Je fais du bénévolat, j’aide les personnes âgées à faire leurs courses et j’ai pu donner un coup de main à l’association Solidaritess. Ça a joué positivement sur le moral. Au début, j’étais confiné chez mes parents, puis dans de la famille, et je suis en recherche d’un appartement.

Ce qui est sûr, c’est que ça va marquer tous les Français, et même tous les pays ! Mais est-ce que l’après-confinement va changer grand chose ? Déconfiner alors qu’il n’y a pas de masques risque de produire les mêmes effets qu’en Chine, où il y a eu une deuxième vague de contamination. Enfin, j’espère que tout va aller mieux, même si ça va être compliqué.

Revoir Ivry depuis les fenêtres

Ianna Andreadis, 59 ans, artiste peintre et photographe. Quartier Ivry-Port.
Propos recueillis le 23 avril.

Artiste, je suis habituée à travailler seule mais le confinement a quelque chose d'oppressant et il était important pour moi de regarder ma ville autrement. Depuis le début du confinement je photographie les oiseauxsur le platane en face de chez moi : pies, pigeons ramiers, verdiers d'Europe, moineaux, mésanges bleues, corneilles, perruches vertes… Plus de 13 espèces !

Mais ne plus pouvoir rencontrer les gens, cela m'a donné l'idée de leur demander de participer à un projet d'échange entre nous, les Ivryens.

Depuis janvier, comme je n’avais plus fait de projet artistique participatif depuis longtemps, j’avais commencé un travail autour de la ville d’Athènes : montrer les fenêtres éclairées la nuit qui signifient la présence des gens. Cela faisait suite à Fenêtres sur Athènes que j’ai mené pendant trois ans. L’idée était que les Athéniens m’envoient des vues de leur ville depuis leur fenêtre. C’était en pleine crise économique et cela permettait de donner une image positive de la ville, tout en me permettant de la découvrir moi-même.

En ce moment, l’épidémie est une crise différente, sanitaire, cette fois. Alors, je me suis dit que c’était le moment de faire un projet avec tous les Ivryens, dans le même esprit que Fenêtres sur Athènes. J’ai lancé sur Facebook depuis le 1er avril l’idée que les habitants d’Ivry confinés m’envoient des photos prises depuis chez eux. Avec comme consigne que leur fenêtre soit visible dans le cadre. Tout est allé très vite. J’ai déjà publié 200 photos de 140  Ivryens ...  Il faut dire que cela occupe totalement mon temps, vu le confinement et ma consécration au projet. Et j’ai toujours été fascinée par les vues depuis les fenêtres. Quand je vais chez quelqu’un, la première chose que je fais c’est d’aller voir ce qu’il voit de chez lui.

Fenêtres d’Ivrypermet de redécouvrir la ville avec des points de vue inédits et puis cela crée du lien : j’échange en permanence avec quantité d’Ivryens que je ne connaissais pas avant pour la plupart. C’est quelque chose de complémentaire avec Cosmopolis (2007) pour lequel j’avais fait 60 portraits en plan moyen d'Ivryens de tous horizons, dont les noms et pays d'origine figurent sur les photographies. Un cinéaste ivryen, David Quesemand, fait l’inverse de moi : il photographie les Ivryens à leur fenêtre.

Nous envisageons avec la Ville une exposition de Fenêtres d’Ivry une fois le confinement terminé et j'aimerais aussi faire un livre.

Contact : ianna@orange.fr

Site internet

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