
Marié et père de deux enfants, Ludovic Petitdemange, 42 ans, malvoyant, est chercheur en astrophysique au CNRS, dans le Laboratoire d’instrumentation et de recherche en astrophysique - Observatoire de Paris-PSL. Il est également professeur d’université, administrateur de l’Institut national des jeunes aveugles, triathlète et président-fondateur de l’association sportive A2CMieux. Il est invité à Ivry pour rencontrer des collégiens dans le cadre de la Semaine du handicap, de l’accessibilité et de l’inclusion, contre le validisme, une initiative du Centre communal d’action sociale et du service municipal de la culture scientifique et technique, en partenariat avec Sorbonne-Université.
Ivry ma ville hebdo : De quel handicap êtes-vous porteur ?
Ludovic Petitdemange : J’ai perdu la vue subitement à 10 ans à cause d’une maladie génétique qui touche quatre enfants sur sept dans ma fratrie. Et depuis peu, ma mère aussi. C’est comme ça. Cette maladie peut survenir n’importe quand. Moi, j’ai eu de la chance. Car plus cela vous arrive tôt et plus vous êtes malléable et apprenez à vous adapter et compenser votre handicap. 90% de mon nerf optique ne fonctionne pas. J’ai une vue périphérique qui n’est pas mauvaise, mais une vue centrale très dégradée. Aujourd’hui, je suis très malvoyant, mais je suis relativement autonome. J’arrive à me déplacer sans canne blanche.
Ivry ma ville hebdo : Comment êtes-vous devenu astrophysicien ?
Ludovic Petitdemange : J’ai grandi en HLM au milieu d’une famille de sept enfants, dans la banlieue de Nancy. Au départ, en CM2, comme je voulais faire carrière dans le foot, j’étais parti pour entrer en Sport études à l’AS Nancy-Lorraine... Je n’ai pas eu le choix enfant que de me prendre en main. J’ai eu la chance d’intégrer l’Institut national des jeunes aveugles (Inja), école spécialisée à Paris, et d’avoir un prof de physique passionnant, un ancien chercheur, qui m’a donné ce goût pour la recherche.
Quand je me suis lancé dans les années 2000, mon plan A était déjà de devenir chercheur, mais comme cela ne s’était jamais fait, j’avais toujours des plans B et C, au cas où. Car il est dangereux de viser la lune et finalement ne pas y arriver. Je ne suis pas spécialement intelligent. Mais j’ai la ténacité, l’obstination. Je suis passionné par ce que je fais et je ne lâche pas. Finalement, le rêve s’est réalisé. Je suis devenu chercheur en physique stellaire et en planétologie. Alors que certains enseignants pensaient que l’astrophysique n’était pas accessible pour un malvoyant… Moi, je fais de la modélisation numérique. On a une image qu’il faut traiter et dont il faut tirer l’information à partir de modèles théoriques de mathématiques. En vérité, peu de chercheurs en astrophysique mettent un œil derrière un télescope !
Ivry ma ville hebdo : Comment s’est déroulée votre scolarité ?
Ludovic Petitdemange : L’inclusion n’a pas été facile. On a essayé de me mettre dans une classe ordinaire sans m’apprendre le braille ni les techniques de compensation. J’étais le seul élève déficient visuel du collège. Cela ne s’est pas très bien passé. J’ai essayé pendant deux ans. Puis, je suis parti en 4e dans cet institut spécialisé à Paris. La séparation avec la famille a été difficile. Mais en fait, arrivé sur place, j’étais très content. J’avais des camarades qui étaient comme moi. J’avais enfin des activités, mêmes périscolaires, adaptées. C’est là où j’ai pu apprendre à faire du sport, à jouer de la guitare… Et aussi ces fameuses techniques de compensation. Comment utiliser un ordinateur, se déplacer avec ce qu’il me reste de vue, se faire à manger… Enfin des choses très simples mais importantes. C’est parce que j’ai été bien formé à l’Inja que j’ai pu ensuite m’insérer à l’université ordinaire, à Jussieu, puis à l’Observatoire de Paris et à l’École nationale supérieure.
Ivry ma ville hebdo : Que faudrait-il changer pour parvenir à l’inclusion à l’école ?
Ludovic Petitdemange : Jusqu’en 2005, la plupart des élèves en situation de handicap étaient scolarisés dans des centres spécialisés. Puis, la France a décrété l’inclusion en 2005. On y a mis des objectifs assez ambitieux, mais pas les moyens humains et matériels ! On ne peut pas juste dire qu’on va mettre un enfant en situation de handicap dans une classe ordinaire en espérant que cela se passe bien. Cela demande d’avoir formé l’élève, les professeurs, et d’avoir sensibilisé les autres élèves. Il faut vraiment se donner les moyens de réussir l’inclusion avec l’accompagnement, la formation et les outils nécessaires. Il y a un manque très clair de volonté sur ce sujet contrairement au discours affiché.
Ivry ma ville hebdo : Et dans la vie de tous les jours, c’est aussi un combat ?
Ludovic Petitdemange : Si le système respectait la loi, cela nous faciliterait grandement la vie… Les choses vont en s’améliorant grâce au numérique, au digital, mais beaucoup de sites Internet ne sont pas accessibles. Alors que pour faire nos courses, cela serait tellement plus simple ! Autre exemple, chez moi, pour mettre le chauffage, il faut utiliser un écran tactile. Pour l’allumer, je suis obligé d’appeler ma fille ! L’interphone aussi est tactile… Pour ce qui est des transports en commun, on nous avait promis pour les JO que tout serait fait. Mais finalement les lignes de métro ont des années de retard et ne sont toujours pas sonorisées !
Ivry ma ville hebdo : Vous considérez également le sport comme valeur d’inclusion…
Ludovic Petitdemange : Après avoir fait beaucoup de cécifoot, j’ai découvert sur le tard le triathlon. C’est comme ça que j’ai créé en 2018 l’association A2CMieux : pour être accompagné et pour qu’un plus grand nombre de déficients visuels le soient aussi. On est en binôme avec une personne voyante. C’est une rencontre. C’est un vrai facteur d’inclusion.Les guides ne viennent pas juste donner un coup de main. Ils sont contents de ne plus courir ou faire du vélo tout seul. Ils retrouvent une motivation supplémentaire en faisant du sport avec quelqu’un.
Reste que depuis les JO, nous n’avons rien vu venir. Nous n’avons toujours pas plus de moyens, ni plus d’attribution de créneaux dans les piscines, dans les stades d’athlétisme… Nous sommes loin d’être prioritaires !
Ivry ma ville hebdo : Quels conseils donneriez-vous ?
Ludovic Petitdemange : Ce n’est jamais simple. Il faut toujours expliquer, faire ses preuves. Montrer qu’on est légitime dans ce qu’on fait, qu’on va y arriver. Parfois, on se met des barrières soi-même avant même d’essayer. Et le système éducatif français aussi. Il pointe du doigt les défauts des uns et des autres plutôt que de chercher à valoriser les qualités. Alors quand on a un handicap, c’est encore pire.
Moi, j’ai essayé de faire de mon handicap une force. Cela peut détonner. Mais dans ma famille de sept enfants, les deux qui ont eu le bac et même une thèse, ce sont les deux qui sont devenus déficients visuels pendant leur adolescence, mon frère à 16 ans, et moi. Tous les autres voyaient alors bien mais n’ont pas fait d’études. Je pense que le handicap, cette difficulté, nous a finalement donné une force supplémentaire. Celle de relever les défis. Nous sommes mille chercheurs en astrophysique en France, mais je suis le seul déficient visuel ! J’aime bien le sentiment de me battre pour des combats qui valent le coup. Je ne sais pas faire les choses autrement qu’à fond. C’est une sorte de maladie ! [rires]
Ivry ma ville hebdo : Quel message souhaitez-vous faire passer auprès des collégiens ?
Ludovic Petitdemange : Je ne veux pas passer pour un Ovni, ni dire : « Regarde comme je suis fort et intelligent ! » Mais voir une personne comme moi qui, a priori, a des difficultés d’accès à un métier qui semble complexe, l’astrophysique, d’autant plus quand on ne voit pas, cela ouvre des perspectives. Les collégiens que je vais rencontrer, eux-aussi peuvent avoir des difficultés. Mais il y a forcément des choses pour lesquelles ils sont doués, qui les intéressent. C’est sur ces choses-là qu’il faut mettre le doigt. Il faut développer ses passions, les choses qu’on aime, cela permet de se transcender et de réussir des choses. On a tous des barrières, psychologiques, physiques, matérielles, de genre… Il faut absolument s’autoriser à rêver pour les passer !
Propos recueillis par Sylvie Moisy
Initiative organisée dans le cadre de la Semaine du handicap, de l’accessibilité et de l’inclusion, contre le validisme, par le Centre communal d’action sociale, le service municipal de la culture scientifique et technique en partenariat avec Sorbonne-Université.
Le handicap, on en parle
Du 3 au 9 novembre, la 2e édition de la Semaine du handicap, de l’accessibilité et de l’inclusion, contre le validisme propose une programmation très variée pour toutes et tous. Expos, théâtre, journée parasport, comédie musicale, conférence, spectacle, ciné relax, atelier découverte du braille, concert, visite tactile et sensorielle… Retrouvez le programme complet.