
Ivry ma ville hebdo : Comment définiriez-vous les immigrations des personnes asiatiques en France ?
Simeng Wang : En France, près de 6 % de la population immigrée vient de Chine, du Vietnam, du Cambodge, du Japon, de Corée, du Laos, de Thaïlande ou des Philippines. Ces immigrations provenant de l’Est et du Sud-est de l’Asie sont anciennes mais elles restent peu connues, car peu racontées. Ce sont elles que j’ai étudiées. Elles débutent au milieu du XIXème siècle à petite échelle, alors que la France déploie son influence en Asie, agrandit son empire colonial en Cochinchine.
Les premiers flux massifs de personnes asiatiques datent de la Première Guerre mondiale. Pour soutenir l’effort de guerre, le gouvernement français enrôle 43 000 combattants et 49 000 travailleurs en Indochine, et près de 140 000 hommes en Chine. Après 1955, à la suite de la décolonisation de l’Indochine, des Français indochinois sont rapatriés en métropole.
Ivry ma ville hebdo : De 1975 à 1989, l’exil des « boat people » est plus médiatisé.
Simeng Wang : À partir de 1975, une vague de réfugiés sud-est asiatiques arrive. Médiatiquement appelés les « boat people », certains ont pris des bateaux pour fuir des régimes « communistes » autoritaires, notamment les khmers rouges du Cambodge. Ces réfugiés ont bénéficié d’un accueil exceptionnel sur le territoire national lié à l’anticommunisme prégnant dans la société française dans le contexte de la guerre froide. Ils sont accueillis dans toute la France, et à Paris, dans le XIIIe arrondissement.
Plus tard, à la fin des années 80 et dans les années 90, ce sont des Chinois qui migrent, suite à la répression des manifestations de la place Tian’anmen. Dans les années 2000, beaucoup de Chinois viennent pour essayer de gagner une vie économiquement meilleure. D’autres choisissent la France pour leurs études. Les étudiants chinois sont majoritairement issus de classes moyennes supérieures. Quant aux migrants économiques, quelle que soit leur origine, ils ne sont pas les plus précaires dans leur pays de naissance. Pour s’exiler, il faut avoir des moyens et connaître un réseau pour voyager à l’international. Certains peuvent vivre une forme de déclassement social en arrivant en France.
Ivry ma ville hebdo : Vous avez coordonné une étude sur le racisme anti-asiatique entre 2020 et 2022, que pouvez-vous en dire ?
Simeng Wang : Les personnes d’origine asiatique sont souvent considérées comme une « minorité modèle », des « travailleurs discrets » mais c’est un mythe à déconstruire. Ces stéréotypes les enferment dans une catégorie socialement construite, visant à hiérarchiser les minorités ethnoraciales. Ils peuvent aussi créer des souffrances psychiques. Face aux racismes et discriminations dont ils sont victimes, les primo-arrivants ont rarement recours à la justice et à l’autorité. En famille, certains parents conseillent à leurs enfants de ne rien dire. Les descendants des deuxièmes et troisièmes générations, eux, veulent se défendre face aux traitements différenciés et vivre pleinement leurs droits en tant que citoyen français.
Propos recueillis par Catherine Mercadier
Histoire et mémoire des immigrations issues de l’Asie de l’Est et du Sud-Est : le 15 novembre à 18h à l’Espace Robespierre : 2 rue Robespierre. Animée par le service municipal Archives-Patrimoine, la rencontre réunit les sociologues Simeng Wang et Karine Meslin ainsi qu’Alrik Banh, membre de l’association l’Opéra Quanchou.
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