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© Mairie d'Ivry-sur-Seine - David Merle

Depuis mi-mars, à Ivry comme ailleurs, dans les salles de spectacles vivants, le rideau est tombé brusquement. La saison s’est achevée prématurément. Plusieurs centaines de représentations annulées, des dizaines et des dizaines de spectacles reportés, tous les cours, répétitions et ateliers suspendus, des salariés en chômage partiel, des intermittents du spectacle sans travail, une billetterie remboursée ou reportée... Une situation catastrophique avec pour conséquence une perte de recettes, de lourdes charges fixes à payer pour certains, des artistes et des techniciens sans travail…
 
Le 6 mai dernier, l’État a annoncé, dans son « plan pour la culture », prolonger les droits à assurance chômage des intermittents du spectacle jusqu’à fin août 2021. Un soulagement pour beaucoup d’artistes ! Car si depuis le 11 mai, musées, librairies, disquaires, galeries d’art… peuvent rouvrir leurs portes, celles des théâtres, comme celles des salles de concerts et des cinémas, restent closes pour une période indéterminée.
 
Le théâtre Antoine Vitez, le théâtre Aleph, le théâtre El Duende et le théâtre des Quartiers d’Ivry - Centre dramatique national du Val-de-Marne n’ont pas attendu les annonces tardives de l’État pour imaginer des scénarios, chercher des solutions pour s’adapter et garder un lien avec leur public.
 
Depuis fin avril, une coordination rassemblant les lieux de spectacle vivant ivryens, mais aussi des artistes et d’autres équipements culturels locaux, se développe peu à peu pour réfléchir avec la municipalité sur les conditions du retour du spectacle vivant. Quand et sous quelle forme ? Nul ne le sait mais tous y travaillent

Sylvie Moisy

« Remettre du spectacle dans la vie »
Christophe Adriani, directeur du théâtre Antoine Vitez. Propos recueillis le 29 avril 2020.
 
« Un théâtre qui n’ouvre pas au public et qui n’accueille pas des artistes in vivo, c’est une boîte vide. Il est comme un tombeau, un bateau-fantôme, pour faire appel à une image moins négative. J’ai écrit un article sur mon blog le 31 mars dernier à ce propos. Je voulais m’adresser à notre public.
 
Nous essayons de faire vivre le théâtre par notre Facebook en partageant les productions des artistes avec lesquels nous avons un compagnonnage. Ce sont des complices que le public connait. Gaël Faye, notre graphiste Fred Sochard, la compagnie La Camera delle Lacrime…
 
Nous sommes dans une ville où la solidarité est exceptionnelle et cela ne se dément pas dans la culture. Il y a une réflexion en cours de façon transversale entre les différents acteurs culturels ivryens et la Ville. Nous sommes tous portés vers l’idée de retourner vers les Ivryens.
 
Si par exemple, cet été, nous avions l’autorisation à nouveau de rassembler des gens en plein air, à distance et sans dépasser telle jauge, il faudrait le faire ! On va avoir besoin de remettre du vivant et du spectacle dans sa vie, et pas uniquement de l’art en différé par le biais d’un écran.
 
Nous savons que nous, les théâtres, n’allons pas reprendre pendant longtemps. Des pays comme l’Allemagne ont décidé de ne pas ouvrir avant janvier… Et même si on peut commencer la saison en septembre, ce dont je doute, cela ne sera pas dans les mêmes conditions. Nous allons devoir nous adapter de façon durable. Et pour cela, nous avons besoin de moyens supplémentaires. »

Théâtre Antoine Vitez
 
« Il faut réinventer notre métier »
Mehdi Kerouani, comédien au Théâtre El Duende. Propos recueillis le 30 avril 2020.
 
« La vidéo est devenue le seul moyen de rester en contact avec notre public et nos élèves. Depuis le début du confinement, tous les dimanches à 19h, nous donnons rendez-vous sur les réseaux sociaux. À trente ou quarante, on se dit bonjour et on danse, le temps d’une chanson.
 
Nous organisons aussi une dizaine de Zoom ateliers par semaine. C’est une autre façon de faire du théâtre avec à chaque fois une quinzaine d’élèves dans des carrés, par visioconférence, pour travailler les chants, les chorégraphies, les impros. Il y a une grande émotion car les gens ont besoin de parler.
 
La culture, c’est un soignant du vivre. Après la sortie du confinement, les gens auront besoin d’imaginaire. Nous nous parlons entre associations et lieux culturels ivryens avec la municipalité qui soutient une culture pour l’été.
 
Il faut réinventer notre métier, selon le nombre de personnes que l’on pourra recevoir. Cette tourmente est le plus grand avertissement que l’on ait pu prendre. Il faut avoir conscience, pour une fois, que la planète, la mondialisation, c’est nous tous !
 
Financièrement, le théâtre El Duende est en péril. Nous ne sommes pas subventionnés, sauf par la Ville. S’il n’y pas de billetterie, l’argent ne rentre pas. Et les charges courent : le loyer, le crédit pour les travaux, les charges… Ces derniers jours, nous avons lancé un appel d’urgence auprès de toutes les institutions. En attendant, nous avons fait également un appel aux dons auprès de notre public qui nous a déjà aidé pour la construction du lieu il y a plus de six ans. »

Théâtre El Duende

« Prendre l’incertitude comme un espace de liberté… »
Oscar Castro, directeur du Théâtre Aleph, auteur-metteur en scène et acteur. Propos recueillis le 30 avril 2020.
 
« C’est quelque chose de très triste de voir une salle de théâtre fermée, comme un stade de football ou un restaurant fermé… Tout ce qui permettait la vie sociale et participait à la joie de vivre. Tout ce qui nous donnait la possibilité avant de partager avec les gens.
 
Nous vivons un moment magnifique d’incertitude. Cette incertitude, il faut la prendre comme un espace de liberté et se dire : "Je ne sais pas ce qu’il va se passer demain mais cela sera génial !" »

Théâtre Aleph
 
« …Mais si cela dure plus, ça risque de ne plus aller. »
Sylvie Miqueu, chorégraphe, actrice et professeure du Latin’Actor au théâtre Aleph.
 
« Depuis début avril, pour garder le lien avec notre public, nous avons mis en ligne sur le site et le Facebook du théâtre, des liens vers nos pièces de théâtre filmées, des films de l’Aleph, des reportages et documentaires sur Oscar quasiment chaque jour.
 
La nouvelle création des Latin’Actors - Le Dernier Train - était programmée en juin… Au lieu de cela, ils se sont chacun filmés chez eux. Nous avons initié ce montage, au début, pour nous voir entre nous. Mais au vu du résultat, nous avons décidé de le partager en ligne, dans sa version courte et longue ! En attendant que le public puisse aller voir la pièce…
 
J’espère vraiment qu’en septembre nous allons pouvoir rejouer. Car nous avons deux CDI en chômage partiel, un loyer et des charges importantes. Pour l’instant, ça va. Mais si cela dure plus, ça risque de ne plus aller. »
 
« Concilier sécurité sanitaire et pratiques artistiques : un exercice compliqué »
Licinio Da Costa, directeur adjoint du Théâtre des Quartiers d’Ivry - Centre dramatique national (TQI-CDN) du Val-de-Marne. Propos recueillis le 4 mai 2020.
 
Cette crise surgit à un moment difficile pour le TQI-CDN, après que nous ayons déjà traversé une situation très particulière de non-saison, avec l’inconnue de la nomination d’un nouvel artiste à la tête du théâtre (qui ne devrait pas être effective avant l’automne), d’une transformation de projet, de mouvement dans l’équipe… C’est éprouvant pour nous tous.
 
Nous attendons que le ministère se positionne sur une ouverture officielle des lieux culturels et dans quel cadre pour que l’on sache quoi imaginer. Actuellement, nous imaginons toujours un scénario A et B. C’est compliqué de travailler deux scénarios en permanence. Nous sommes en concertation avec d’autres équipements culturels sur le territoire afin de partager ce que l’on peut faire, nos réflexions, nos projets communs.
 
Il va falloir concilier la préoccupation de la sécurité sanitaire des uns et des autres (public, salariés, artistes) avec ce qui relève de nos pratiques artistiques. C’est un exercice qui va être compliqué. Certaines œuvres vont difficilement s’intégrer dans un protocole de protection sanitaire. Il sera peut-être plus facile de créer de nouvelles pièces pour intégrer les contraintes à la problématique même de la pièce.
 
L’idée que le public devrait respecter les distanciations et aussi porter un masque, pour moi, ce n’est plus tellement du théâtre. Je réfléchis plutôt à des formes ambulatoires. Nous pourrions être dans la halle avec des formes artistiques où le rapport est tout à fait différent que lorsque l’on est face à un plateau.
 
On en sortira, mais quand et de quelle manière, cela déterminera l’état des dégâts. Plus ce sera lointain et progressif, et plus il y a des théâtres et des compagnies qui auront fermé définitivement leurs portes. »
 
Site du TQI-CDN
 
Propos recueillis par Sylvie Moisy

Musique : silence dans les salles

Depuis mi-mars, les salles de concerts sont elles aussi devenues aussi vides que muettes.

Le Hangar-Le Tremplin, espace municipal de répétition, d’enseignement et de diffusion de concerts, vit par procuration. Depuis le 1er avril, le lieu culturel assure une programmation de concerts live trois à quatre fois par semaine sur son Facebook « Ce sont de concerts de musiciens qui jouaient confinés chez eux, explique Ryad Hanni*, responsable du Hangar-Le Tremplin. Des groupes qui se sont formés au Tremplin, des anciens élèves, des artistes déjà passés au Hangar. Nous allons approcher les 80 000 vues, tous concerts confondus. »
Ce dispositif devrait se prolonger jusqu’à l’été. Et peut-être même, selon le déconfinement, proposer des captations in situ et en direct du Hangar aux musiciens qui n’ont pas eu les moyens techniques de le faire depuis chez eux.
« Les cours de musique, eux, continuent également à fonctionne. Les professeurs ont dématérialisé leur enseignement auprès de leur centaine d’élèves. »
Quant aux dix agents municipaux permanents attachés à la structure, certains sont en renfort dans d’autres services, d’autres gardent le lien avec les usagers, préparent la programmation, la communication...  « Après le 11 mai, on ne pourra pas reprendre. Au Tremplin, les boxes sont des espaces confinés... Et il est sûr que la salle de concert restera fermée jusqu’en septembre. »

Au Forum Léo Ferré, la salle de concert et le restaurant sont, eux aussi, fermés. Pour ce lieu associatif privé, les difficultés sont bien plus grandes. Avec zéro recette, des charges qui tombent ou reportées, mais qu’il faudra bien payer un jour ou l’autre, le risque financier est réel.
« C’est très difficile de se projeter dans l’avenir dans la mesure où nous n’avons pas d’annonce précises quant à la possibilité de réouverture, explique Roxanne Joseph**, directrice du Forum Léo Ferré. Quand on sait comment et quand on peut repartir, il est possible de faire des projets et des plans de sauvetage. Mais là, nous n’avons aucune visibilité. » Elle espère, elle aussi, pouvoir accueillir artistes et public en septembre. Tout en ignorant, à ce jour, si cela sera possible… Avec en plus une incertitude : est-ce que les gens vont ressortir aussi facilement au spectacle ? « Notre activité est précaire, elle vit grâce au restaurant. Alors si on ne peut rouvrir en septembre, je pense que l’on sera obligé de prendre la décision d’arrêter. » Nul doute que le meilleur soutien sera de fréquenter les lieux au moment de leur réouverture.

Sylvie Moisy

* Propos recueillis le 4 mai 2020.
** Propos recueillis le 30 avril 2020.

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