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Dans votre dernier film « Un soupçon d’amour », il est question d’amour, de femmes, des thèmes qui vous sont chers…

Ce sont des thèmes qui ont toujours jalonné mes films. Les femmes, cela tient de ma mère. C’est tout simple. Ma mère m’a élevé d’une telle façon que je ne l’en remercierai jamais assez même si elle est morte depuis plus de trente ans… Elle ne m’a jamais interdit quoique ce soit. Elle me disait : « Si tu fais ça, tu risques ça ». Et cela a donné à l’enfant que j’étais une espèce de liberté totale d’action avec quelques fois des expériences qui faisaient que ma mère avait raison. C’est-à-dire que quand je faisais ça, eh bien je me le prenais dans la tête. Et cela m’a éduqué d’une façon je dirais parallèle.

Je suis d’origine corse, donc ma mère était corse. Et il y a chez les Corses toujours une tendresse un peu exubérante. Ma mère, elle, avait une tendresse qui était mise à disposition et qui n’était jamais envahissante. Elle avait en elle une espèce de grande générosité, ce qui m’a fait moi regarder les femmes d’un autre œil. Et cela s’est confirmé, je dirais, à 80% par la suite !

J’ai donc toujours beaucoup, beaucoup, aimé les femmes. Et j’ai toujours pensé qu’elles sont le terreau de notre vie. Qu’elles sont là peut-être plus disponibles que les hommes. L’esprit féminin est tellement différent de celui des hommes. Cela m’intéresse beaucoup de voir l’expansivité qu’il y a chez les femmes et qui n’est pas souvent présente chez les hommes. Tout cela est un peu schématique, mais c’est toujours des schémas que l’on tire des vérités.

Et l’amour dans tout cela ?

Quant à l’amour. L’amour, l’amour, moi je ne peux pas vivre sans, c’est clair. J’ai vécu toute ma vie avec l’amour. L’amour de ma mère, l’amour de mon père. C’était difficile car il était très secret et que nous n’avions pas beaucoup de relations, peut-être parce que ma mère prenait trop de place. J’ai beaucoup aimé mes sœurs, mon frère. Et ensuite à 14 ans, je suis tombé amoureux d’une jeune fille et cela a entraîné d’ailleurs un film qui s’appelle Le Cancre qui est sorti il y a quelques années. Puis j’ai été amoureux et même au-delà…

Mais Un soupçon d’amour parle aussi du travail du deuil qui est une chose très très importante. Parce que nous n’en sommes pas maîtres du tout. Les choses reviennent, on ne sait pas pourquoi, elles repartent et puis cela se calme, et puis tout d’un coup cela ressort. En tout cas, je peux vous dire, que pour moi, ma fille qui aurait aujourd’hui 67 ans, elle vit avec moi. Je ne peux pas ne pas penser à elle, à ce qu’elle serait, à ce qu’elle ferait, je la vois. Évidemment, dans mon imaginaire, elle ressemble à sa mère, naturellement. Je la vois avec le visage de sa mère et je la vois comme sa mère. C’est-à-dire, comme une espèce de continuité de sa mère, de sa gentillesse... Voilà, c’est un peu comme ça que cela se passe. Ce n’est pas continu, ce n’est pas constant, ça vient surtout le soir.

Qu’elle place ce film occupe-t-il dans votre filmographie ?

C’est le film le plus important au niveau personnel. Maintenant, ce n’est pas à moi de juger s’il est réussi ou pas. Pour l’instant, les critiques sont assez dithyrambiques. Je m’en réjouis car j’aime beaucoup ce film. J’ai mis beaucoup de temps à le faire car j’avais du mal à mettre quelqu’un à ma place, voilà. Le jouer moi-même, c’était exclu, puisque je suis trop vieux. Et je ne voyais pas un homme jouer ce rôle. Je voulais faire ce film depuis cinquante ans ! Et puis tout d’un coup, un matin, je me suis réveillé en me disant : « Mais bon Dieu, imbécile ! Prends une femme à la place et cela ira bien ! »

J’ai tout de suite pensé à Marianne Basler. Et si Marianne m’avait dit non, je ne l’aurais pas fait sans elle. Elle a accepté tout de suite. Elle est absolument sublime, je dois dire ! Ça c’est mon point de vue personnel. Mais c’est un avis très partagé par les critiques, tout le monde trouve que Marianne est formidable.

Pour faire ce film, je me suis beaucoup écarté de mon histoire et je me suis mis à faire du cinéma. C’est-à-dire que dans mon scénario, j’ai mis pas mal de secrets, je veux dire des secrets scéniques, pas des secrets personnels. J’ai donc oublié un peu mon histoire et j’en ai fait un film.

À 90 ans après trente longs métrages, qu’est-ce qui vous motive encore à tourner, à créer ?

Création est un mot pour moi qui est biffé de mon vocabulaire. Je ne créé rien. La création vient de Dieu, c’est-à-dire du néant. On part du néant pour arriver à quelque chose. Or, moi, je pars de mes souvenirs, je parle de ce j’ai vécu. Quelques fois, j’ai des réactions sur le plan politique à ce que j’entends et j’ai envie de réagir et je fais un film. Je ne sais plus qui a dit : « On ne créé rien, on assimile et on transforme ».

Je pars d’une idée qui arrive. Quelque fois, cela parait un peu grotesque, mais j’ai souvent l’impression quand je dors qu’il y a quelqu’un qui s’assoit sur mon lit et qui me dit : « Voilà, fais-moi exister ! ». Je me réveille le matin et j’ai ce sentiment-là. Dans ma nuit, peut-être dans un rêve que je n’ai pas retenu, ce personnage a existé. Il est là, et petit à petit, à partir de ce personnage-là,  je vois son entourage, je vois tout cela, et cela devient une histoire. Cela peut être un roman aussi, car j’écris des romans. Mais la plupart du temps, c’est un film.

Je pars de tout, absolument de tout. J’ai voulu à un moment rendre hommage à ma mère et j’ai fait un film sur elle et son histoire avec Danielle Darrieux [En haut des marches]. Un jour j’ai entendu Charles Pasqua dire : « Le Sida c’est un châtiment divin contre les homosexuels ». J’ai fait un film pour contredire cela qui s’appelle Once more.

Un jour, je vois un film d’Yves Robert où l’on parle d’un acteur ringard pour lequel Mastroianni était payé 15 millions pour faire ce film. Je me dis ce n’est pas juste si c’est un ringard ! Donc j’ai fait Femmes femmes qui était joué par deux actrices inconnues qui sont devenues après connues, puisque Pasolini les a prises. Ce film a eu un énorme succès à Venise. L’idée de base, c’était pourquoi prendre une star pour jouer un ringard ? Donnons une chance à un ringard ! Vous voyez comment je fonctionne ?!

Qu’est-ce que cela vous apporte de réaliser ?

Mais je ne pourrais pas vivre sans ça… Je suis tombé dans le cinéma à 6 ans en voyant le film Mayerling avec Danielle Darrieux, une actrice qui est le pivot de ma vie. Et je ne peux pas faire autre chose que cela. Vous savez, j’ai eu un chemin qui aurait pu être différent. Mais j’avais dit à mes parents à l’âge de 6 ans : « Je ferai du cinéma ». Et mon père et ma mère m’ont répondu : « Oh écoutes, tu feras ce que tu voudras quand tu seras grand, mais par amitié, fais d’abord des études ». J’étais assez doué, alors j’ai fait Polytechnique, et puis dès que j’ai eu fini, j’ai dit c’est terminé, je fais du cinéma !

Je ne peux pas vivre sans la fiction. Tout est fiction pour moi dans la vie. Donc je ramasse des éléments de fiction chez mon voisin, chez la pharmacienne… Mais je ne le fais pas exprès, non. Ça draine, ça murit, c’est comme des plantes, quoi. Ça a une vie, ça grandit et cela devient un film.

Donc si je comprends bien, ce n’est pas votre dernier film ?

J’ai déjà un projet pour février. Maintenant ce virus le permettra-t-il ? C’est une autre histoire. Sous la main, j’ai quatre films prêts. Mais je ne veux plus produire. Un soupçon d’amour, c’est le dernier. J’ai des gens qui m’aiment bien et veulent me produire. Vous savez à mon âge... Et je fais tout, tout seul, je n’ai pas de secrétaire, pas de comptable, ça commence à fatiguer…

À vous entendre, pourtant, vous ne semblez pas du tout fatigué. Quel est votre secret ?

Le travail ! Le travail ! Un soupçon d’amour - qui est un film d’1h32 -, je l’ai tourné en neuf jours. Un film que les gens normalement tourneraient en quatre semaines, minimum. Pourquoi ? Parce que je travaille énormément. Je prépare beaucoup, trois mois à l’avance. Et tous les éléments des préparations sont communiqués aux techniciens et aux comédiens. Ce qui fait que quand on arrive au niveau du tournage, on est à peu près sur la même ligne.

Pour les comédiens, j’ai une méthode personnelle. Je fais une première lecture à plat. C’est-à-dire qu’il est hors de question de jouer. On lit. Et là on sent s’il y a des mots qui ne conviennent pas. Il se trouve que sur Un soupçon d’amour, personne n’a dit : « Moi, cela ne me convient pas ». Donc on a gardé les mots du départ. C’est comme les costumes. Si un costume ne va pas, il ne faut pas le mettre. Si un mot ne va pas, il ne faut pas le mettre. Donc la première chose, c’est mettre en place les mots.

Puis, suit une deuxième lecture à plat où là j’interviens en tant que chef d’orchestre. C’est-à-dire que je dis : « Là tu accélères, là tu ralentis, là tu prends une pause, etc. ». Et cela se discute, ce n’est pas obligatoirement ce que je dis qu’ils voudront faire. Des fois, l’acteur ou l’actrice me dit : « Bon écoutes, non, moi je le sens pas comme ça, je préfèrerais accélérer ailleurs ». Ok. On essaie puis on décide. Ce qui fait que la direction d’acteurs, ce n’est pratiquement que de la gestuelle. Tout le reste, c’est déjà en place. Moi, la psychologie je déteste ça. Donc je n’en fais pas. Il y a les mots et la gestuelle. Et ça, cela donne le personnage.

Vous serez à Ivry le 13 septembre. Pourquoi venir à la rencontre du public ?

Je fais un film pour le public. D’ailleurs, c’est un mot que je n’aime pas, le « public ». Je fais un film pour chaque spectateur. Et le retour des spectateurs m’est beaucoup plus important que les réactions des critiques. J’ai eu l’habitude d’avoir à 80% de bonnes critiques. Mais ça ne suffit pas. Ce sont des professionnels. Moi, c’est Monsieur Dupont ou Madame Durand qui m’intéressent. Et nous vivons dans des temps où les gens qui paient leur place sont plus aigus par rapport au film que ceux qui sont payés pour écrire dessus. J’ai un souvenir à Montreuil, par exemple, d’un monsieur pour le film C’est l’amour. Il a dit des choses que personne, aucun critique n’avait vues et qui sont dans le film.

Après, je pense qu’il y a un film par spectateur, ou spectatrice bien sûr. C’est pour cela que ce retour-là est capital. Chaque spectateur a sa vision du film. Et je vois bien dans les débats que cela n’est pas souvent la même. Alors cet ensemble de visions, cet ensemble de réflexion du film, pour moi, est capital. Et puis j’aime bien discourir avec les gens. Je ne me mets pas sur un piédestal. Et il en est de même sur le tournage. Je ne suis pas le patron, là, comme ça, au-dessus des gens. Non, c’est une famille.

Propos recueillis par Sylvie Moisy

Projection-rencontre d’Un soupçon d’amour dimanche 13 septembre à 17h30 au Luxy (77 avenue Georges Gosnat) en présence du réalisateur Paul Vecchiali, des actrices Marianne Basler et Fabienne Babe.

Synopsis d’Un soupçon d’amour :
Geneviève Garland, une célèbre comédienne, répète Andromaque de Racine, avec pour partenaire, son mari André. Elle ressent un malaise profond à interpréter ce personnage et cède son rôle à son amie Isabelle qui est aussi la maîtresse de son époux. Geneviève s’en va avec son fils malade dans son village natal. Elle semble fuir certaines réalités difficiles à admettre.

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Paul Vecchiali en quelques dates
- 28 avril 1930 : naissance à Ajaccio.
- 1961 : réalise son premier long métrage Les petits drames ;
- 1965 : Les Ruses du diable ;
- 1972 : L’Étrangleur ;
- 1974 : Femmes femmes ;
- 1978 : Corps à cœur ;
- 1985 : Rosa la rose, fille publique (nomination au César du meilleur espoir féminin pour Marianne Basler) ;
- 1994 : Wonder boy de sueur et de sang ;
- 1996 : Zone franche ;
- 2005 : À vot’ bon cœur ;
- 2010 : L'Encinéclopédie, monumental dictionnaire consacré à la filmographie complète de cinéastes français ayant tourné dans les années 1930 ;
- 2015 : Nuits blanches sur la jetée ;
- 2016 : C’est l’amour ;
- 2016 : Le Cancre ;
- 2018 : Les 7 Déserteurs ou la guerre en vrac ;
- 2018 : Train de vie ou les voyages d’Angélique ;
- 2020 : Un soupçon d’amour.

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