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© Diane Delayhe

« Mon premier vol parabolique en avion*, c’était en 1990. Ce vol m’a totalement bouleversée. Car en apesanteur, tous les repères changent. On n’a plus de corps, on est libre ! On ne tombe plus, on est en orbite. Si on touche quelque chose, on est repoussé. Extraordinaire ! En descendant de ce vol, je me suis dit qu’il n’y avait rien de mieux. » Depuis, transfigurée par cette expérience, la chorégraphe Kitsou Dubois porte un autre regard sur le monde. Ses créations tentent d’échapper à la gravité pour se mouvoir en apesanteur. Avec pour ambition de transmettre ces incroyables sensations vécues dans l’espace. « Les vols, c’est comme si j’étais tombée dedans, avoue-t-elle. Dans ma tête, j’y suis encore. C’est vraiment gravé. Je vis entre Paris et la Charente-Maritime où mon mari est agriculteur exploitant. Et cela me remet dans la terre ! » (rires)

Formée à la danse contemporaine dans les années 70, Kitsou Dubois a toujours aimé défricher des terrains inexplorés dans la relation du corps à l’espace. Elle découvre la technique Hawkins, axée sur la suspension et les connections internes du corps. Lors d’une bourse pour travailler en studio à New York, elle croise aussi le chorégraphe américain Merce Cunningham, qui a eu une influence très importante sur le travail de l’espace. Très vite, elle chorégraphie ses propres solos et repousse les limites. Elle monte des spectacles sur des façades d’immeubles, sur l’eau, dans des usines…

Sur le terrain de la science

Elle va même plus loin, quand des architectes qui travaillaient sur un projet d’habitabilité sur la station spatiale Colombus l’invitent à participer à leur réflexion. Elle développe alors une méthode d’entraînement des astronautes avec des techniques de danse. Ce qui lui vaut, en 1989, d’obtenir une résidence à la Villa Médicis hors-les-murs pour partir à la Nasa, à Houston.

« Là-bas, ils ne m’ont pas forcément ouvert les bras : j’étais danseuse, française et femme… Ce genre d’intrusion n’existait pas à l’époque dans ce milieu à majorité masculine et pas du tout tourné vers l’artistique ! »

De retour en France, elle reçoit le soutien du Cnes (Centre national d’études spatiales). C’est là, à Brétigny-sur-Orge, en 1990, qu’elle va faire son premier vol parabolique. Elle en effectuera 21 au total jusqu’en 2009. « Mais comment traduire cette expérience sur Terre en tant que danseuse ? Pas évident. Car sur Terre, quoiqu’il arrive, il y a la gravité. » En clair, comment traduire et transmettre cette expérience par la danse.

Pour y parvenir, elle reprend des études et va jusqu’à décrocher un doctorat en esthétique, sciences et technologies des arts. « Je suis allée sur le terrain de la science pour m’en emparer et en faire quelque chose d’artistique. »

C’est à partir de sa thèse qu’elle se remet à chorégraphier en associant des circassiens à ses créations pour pouvoir utiliser le plateau en volume. En 2013, elle chorégraphie un duo de voltige synchronisée lors de sa résidence au sein de l’équipe de voltige de l’armée de l’air à Salon-de-Provence.

Dans ses spectacles, le mouvement est lent. Le travail se fait dans l’espace. Et ses interprètes se font légers, jusqu’à voler… en apesanteur, mais sur Terre.

Sylvie Moisy

*En décrivant des paraboles, l'avion ssimule des chutes libres dans le vide permettant de créer un état de micropesanteur pendant lequel les passagers ont un poids nul.

Jusqu’au 7 novembre, Corps en suspens : variations autour de la gravité. Expo-photos, reflets de ses expérimentations en apesanteur et dans l’eau. Médiathèque du centre-ville (152 avenue Danielle Casanova).

Minibio
1973-1977 : maîtrise d’économie politique.
À partir de 1975 : se forme professionnellement à la danse.
Depuis 1983 : ateliers avec des patients psychotiques.
1984 : bourse de travail à New York.
1989 : Villa Médicis hors-les-murs à la Nasa, à Houston.
1990 : premier vol parabolique avec le Centre national d’études spatiales. Puis reprend ses études à l’université en sciences.
1999 : docteur en esthétique, sciences et technologies des arts.
Depuis 2000 : multiplie ses recherches et créations entre gravité et apesanteur.

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