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L’ILN Danielle Casanova vu du jardin intérieur © Mairie d’Ivry-sur-Seine - David Merle

Grand prix d’architecture en 1978, Jean Renaudie (1925-1981) a conçu pas moins de 276 logements à Ivry. L’immeuble Danielle Casanova, avec ses 84 logements intermédiaires à « loyer normal » (ILN), mais aussi des commerces et des bureaux, est emblématique du travail de l’architecte. Il vient d’être inscrit au titre de monument historique.

« Dans les années 60 & 70, la rénovation du centre-ville d’Ivry fut le laboratoire d’une nouvelle architecture, explique Nicolas Foisneau, chargé de la protection des monuments historiques à la Conservation régionale des monuments historiques. L’ILN Casanova est, avec le Centre Jeanne Hachette, la première construction réalisée à titre personnel par Jean Renaudie, après son départ de l’Atelier de Montrouge. Il a pris son autonomie à Ivry, mettant en œuvre l’idée d’une ville en rupture avec les grands ensembles des années 50. Pour lui, ces grands ensembles avaient une dimension déshumanisante liée à la répétition des formes. Il voulait au contraire tenir compte de la variété humaine avec des appartements tous différents qui respectaient l’individualité des habitants. »

« Il s’agit que les locataires adhèrent à ce type d’espaces et ne les subissent pas, car l’architecture respire avec les gens, résume Jean-Pierre Merlot, habitant de Casanova depuis 1981. La géométrie de ces logements, l’espace qu’ils dégagent, font que je ne me vois pas habiter dans un logement classique. Même si, en raison des difficultés financières, il y a un manque d’entretien et d’importants problèmes thermiques. »

« L’OPH a nombre de logements remarquables sur Ivry, constate Judith Lopes qui a grandi à Casanova et préside aujourd’hui son amicale CNL (Confédération nationale du logement). C’est une chance que les locataires puissent bénéficier de ces logements qui offrent de beaux volumes, avec de grandes entrées de lumière. Dans un centre-ville très dense, on s’y sent très proche de la verdure, que ce soient les terrasses, la cour intérieure ou le parc Maurice Thorez tout proche. Il y a beaucoup d’avantages à vivre dans cette architecture, même s’il faut parfois avoir un peu d’imagination pour meubler certaines pièces ! »
 

Un chantier compliqué et coûteux

Pourtant, ce remarquable bâtiment accuse son demi-siècle : l’étanchéité des terrasses, la ventilation, les plomberies et l’isolation thermique sont notamment à revoir. Or les spécificités de l’édifice compliquent sa réhabilitation. Le remplacement des fenêtres (boiseries et vitrages) est en soi un casse-tête. En effet, elles représentent plus de 50% des façades et comptent pas moins de 185 modèles de châssis différents ! Et cela nécessite la pose d’échafaudages complexes. De quoi faire monter l’addition.

« Les projets de réhabilitation, assez coûteux, sont entièrement à la charge des locataires… ce qui engendrerait une augmentation des loyers d’au moins 20 %, détaille Judith Lopes. Nous avons donc monté une amicale CNL pour que cette réhabilitation n’ait pas lieu de cette façon car nous souhaitons garder la mixité sociale réelle des habitants. »

« Depuis deux ans, l’OPH fait des études de réhabilitation de l’ILN Casanova, avec une attention particulière à son architecture, explique Chiara Fontanella, chargée d’opération à l’OPH. Nous avons consulté les Architectes des bâtiments de France qui nous ont exhorté à demander l’inscription aux monuments historiques, ce que l’on a fait fin décembre 2019. Nous avons conscience que tout le monde ne peut supporter une augmentation trop importante des loyers. Cette inscription est donc très importante car elle ouvre de potentiels financements. »
 

La qualité de vie récompensée

Si l’inscription aux monuments historiques n’est pas un classement (le niveau supérieur de la protection d’un bâtiment), c’est tout de même la garantie que son architecture – et ses alentours dans un périmètre de 800 m – soit préservée. Mais cela ouvre aussi à des financements pour son entretien : le ministère de la Culture peut apporter jusqu’à 20 % d’aides, cumulables avec celles d’autres collectivités, telle la Direction régionale des affaires culturelles (Drac).

Pour qu’un édifice soit inscrit, il faut qu’il soit examiné par la Commission régionale du patrimoine et de l’architecture (CRPA) réunissant des membres du ministère de la Culture, des élus locaux, des personnes qualifiées (architectes, etc.) et des représentants associatifs. In fine, la décision finale incombe au préfet. Par arrêté du 19 avril 2021, le préfet d’Île-de-France signifie donc l’inscription de l’ILN Casanova au titre de monument historique.

« Arriver à inscrire un édifice de moins de 50 ans et, qui plus est, du logement social, c’est exceptionnel ! », constate Nicolas Foisneau.
« C’est un événement, déjà pour la qualité de cette architecture qui a 50 ans, mais aussi pour le logement social, se réjouit Serge Renaudie, fils de Jean Renaudie et lui-même architecte. C’est la reconnaissance d’un bâtiment de logement social vivant, pas d’un monument mort ! Et c’est une fierté pour Ivry. »

« Nous souhaitions que Casanova soit inscrit, à la fois pour protéger l’immeuble et pour réduire les augmentations de loyer, détaille Jean-Pierre Merlot, membre du collectif informel de locataires, créé il y a dix ans, qui a participé à chercher des solutions financières avec les autres acteurs du quartier. Entre l’OPH, l’amicale CNL et notre collectif, il y a une convergence d’appréciation sur Casanova, donc tout le monde se réjouit de cette décision ! »

Les travaux doivent à présent débuter au 1er semestre 2022, l’agence de l’architecte Pierre-Antoine Gatier, déjà responsable de la restauration de la tour Lénine, étant en charge du projet.
 

Ce n’est qu’un début…

La demande de l’OPH portait sur l’ILN Casanova, mais au vu des études, la Conservation régionale des monuments historiques a décidé également d’inscrire la tour Raspail afin de valoriser l’œuvre de Renée Gailhoustet. Le nom de l’architecte ivryenne ne peut en effet être séparé de la transformation du centre-ville d’Ivry (c’est d’ailleurs elle, alors chargée de la rénovation urbaine, qui fit venir Jean Renaudie).
Inaugurée en 1968, la tour Raspail est déjà labellisée « patrimoine remarquable du XXe siècle » (tout comme le Centre Jeanne Hachette). Elle bénéficiera désormais du même statut que l’ILN Casanova.

« Ces constructions, c’était une révolution, portée par la Ville, conclut Serge Renaudie. Elles existent grâce aux architectes, mais aussi aux élus de cette époque où l’on n’avait pas peur de faire quelque chose de révolutionnaire… qui a marché. C’est la qualité de vie pour le logement social qui a été inscrite comme monument historique. »

Daniel Paris-Clavel

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