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Depuis le 6 mars, l’entrée de l’incinérateur des déchets ménagers du Syctom, situé à Ivry-Port, est quasiment bloqué tous les jours. Ici le 7 avril. © Mairie d'Ivry-sur-Seine -Michael Lumbroso

« Je suis éboueur à la Ville de Paris depuis 14 ans. J’ai été ripeur à l’arrière des camions-bennes pendant six ans et je suis actuellement conducteur de petits engins laveuses et aspireuses. Je suis délégué à la CGT FTDNEEA (Filière Traitement des déchets, nettoiement, eau, égouts, assainissement) qui rassemble la trilogie des métiers : éboueurs, égoutiers et chauffeurs. Je n’aime pas trop parler de moi car notre lutte est collective mais je me suis laissé convaincre. Depuis le 6 mars, date de l’arrêt de l’incinérateur des déchets ménagers d’Ivry, je suis mobilisé avec mes collègues contre la « déforme » des retraites. Nous faisons la grève par roulement car ce serait trop dur financièrement sinon. Nous venons presque tous les jours à l’incinérateur car il est emblématique du métier d’éboueur, de notre rôle dans la société et de notre classe ouvrière en général.

Éboueur, c’est d’abord un métier pénible. À 55 ans, j’ai des douleurs au dos – une vertèbre et demi de pétée - et des tendinites. A partir de 50 ans, nous avons tous des TMS, des troubles musculo-squelettiques. Un ripeur à l’arrière du camion-bennes, il fait deux tournées par jour, marche entre 15 et 20 km, charge une quinzaine de tonnes de déchets et respire des poussières de toutes sortes. Quand je faisais de la benne et du balais, il y avait trois journées de 9h par semaine suivies de deux de 6h. Je me levais à 4h15 du matin, je partais à 5h15, et je sortais de mon atelier à 17h. Quand vous rentrez à la maison, vous ne savez plus si c’est la nuit, le jour. C’est le bordel dans votre corps et votre tête.

Certains disent que nous devrions faire autre chose, ils pensent que les éboueurs ont bac moins 15 certainement ? Il ne faut pas les mépriser. Pendant le Covid, nous avons continué à travailler tout comme les caissières, les infirmières et les médecins. Nous avons même transporté des masques quand c’était compliqué de s’en procurer. Moi, j’ai le niveau bac. Après, j’ai travaillé dans l’hôtellerie, j’ai été responsable de rayon de libraire, j’ai été adjoint dans un magasin de dépôt-vente où je gérais 10 personnes. Pourquoi je suis devenu éboueur ? Parce que le monde du travail est mort. Ce n’est que des petites missions avec des salaires de misère. En tant qu’éboueur, j’ai la sécurité de l’emploi, même si je le paye physiquement.

S’emparer de son présent

Etre citoyen, ce n’est pas seulement voter et respecter la loi, c’est aussi s’emparer de son présent et de son avenir, se réapproprier cette citoyenneté. Ne pas rester chacun chez soi, à sa fenêtre ou à regarder des films sur les plateformes. Etre acteur et actrice de sa vie ! Au-delà de la « déforme » des retraites, nous sommes confrontés à des questions philosophiques et spirituelles qui touchent tout le monde. Le Covid a été un accélérateur de ce qui aurait pu se produire dans dix ans.

Aujourd’hui, la prise de conscience est générale. Il y a 3-4 demandes fondamentales : pouvoir vivre dignement de son salaire et se projeter dans l’avenir, ne pas "être à la survie" le 15 voire le 6 de chaque mois ; et avoir un logement digne et ne pas payer un HLM à 1000€ comme c’est mon cas. Nous voulons aussi vivre finir nos jours dans des conditions matérielles et de soins qui soient dignes et surtout donner un sens. Je ne sais plus qui a dit : "Le XXIème siècle sera spirituel ou ne sera pas", c’est vrai. Nous traversons une conjonction de facteurs négatifs : inflation, écologie, logement, perte de sens… Nous allons vers le chaos en France mais pas uniquement et les gens ne veulent plus de ce monde.

Nous arrivons sur terre à poil et on repart également à poil, qu’est-ce qu’on fait entre les deux ? J’ai survécu à ma propre enfance, dans une grande misère, et je mettrais un pied devant l’autre jusqu’à mon dernier souffle. Cette lutte donne un sens à ma vie. »

Propos recueilli par Catherine Mercadier

Blocage violemment levé
Suite à notre entretien avec l’éboueur Vincent Hallalef, ce 7 avril vers 11h30, les policiers présents ont chargé pour déloger le piquet de grève qui soutient les éboueurs de la Ville de Paris et les employés de Suez qui gère l’incinérateur des déchets ménagers. Ce point de blocage est en place quasiment tous les jours depuis le 6 mars. Il rassemble plusieurs syndicats (CGT, Sud, CNT…) mais aussi des collectifs féministes, des agents territoriaux, des étudiants, des Ivryens…

Ce 7 avril, après négociation avec la police et les grévistes du site, un barrage filtrant avait été voté à main levée par les personnes qui tiennent l’entrée de l’incinérateur mais les forces de l’ordre ont voulu laisser passer tous les camions-bennes. Celles-ci ont forcé le passage et ont notamment gazé les personnes présentes. Plus tard dans la journée, le piquet de grève s’est reformé. Le lendemain, il a été dispersé encore plus violemment par la police, entraînant trois interpellations selon la CGT.

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