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Gloriose Umugwaneza-Nguyen raconte son histoire, celle d’une rescapée du génocide contre les Tutsi au Rwanda commis en 1994. © Julie Subiry

« Toute cette famille, qui compte en tout une soixantaine de membres, a été décimée. Il ne reste plus qu'une seule personne vivante. » Sur l’écran du CDI du collège Molière, ce 7 mars, Gloriose Umudwaneza-Nguyen projette une carte du Rwanda, petit pays d’Afrique centrale, et quelques photographies jaunies de ses proches. Les visages sont souriants, parfois un peu inquiets, saisis le plus souvent lors de fêtes, dans les années 80-90. Quand elle évoque sa meilleure amie de l’époque, Colombe, la voix de la quinquagénaire s’étrangle, les larmes affleurent : « Elle était tout pour moi. J’aurais voulu avoir une fille pour lui donner son prénom mais j’ai eu deux fils ». Deux classes d’élèves de 3ᵉ écoutent avec une attention aiguë le récit de cette survivante du génocide commis contre les Tutsi* par les Hutu au Rwanda du 7 avril au 4 juillet 1994. 

En 100 jours, plus d’un million de Tutsi ont été assassinés pour la seule raison qu’ils étaient Tutsi**. Ils ont été assassinés par leurs voisins, souvent à la machette. Beaucoup ont été amputés d’un membre. Des femmes et des fillettes ont été violées, des maisons ont été incendiées, le bétail abattu.

La rencontre avec cette témoin rescapée a été organisée par des enseignants de l’établissement, en partenariat avec la Ligue de l’enseignement et l’association Ibuka dans le cadre de leur programme « Construire le monde d’après ». L’objectif est de faire connaître le dernier génocide du XXᵉ siècle, après celui des Arméniens et des Juifs d’Europe. Rappelons qu’il s’agit d’un génocide c’est-à-dire d’une entreprise raciste, planifiée par l’État, en vue de détruire un groupe identifié comme étant un ennemi. Comme tous les mécanismes génocidaires, il est précédé d’une phase de stigmatisation et de propagande raciste. C’est ce que décrit Gloriose. 

Racisme pour attiser la haine
 

« Avant le génocide, quand j’étais adolescente, des rumeurs circulaient traitant les Tutsi de cafards ou de serpents. Nous nous disions que c’était peut-être vrai ? Au pensionnat où j’étais à Kigali, dans la capitale, nous n’avions pas le droit de nous réunir à plus de trois Tutsi, les élèves hutu nous dénonçaient. Nous ne comprenions rien, nous les détestions aussi. Nous étions accusés de vouloir les empoisonner avec nos crèmes et produits d’hygiène que nous avons dû manger pour prouver qu’ils n’étaient pas mauvais.» 

Après ce témoignage poignant, les collégiens posent les questions qu’ils ont préparées. 
« Pourquoi les Hutu tuaient-ils les Tutsi ? ». « Au départ, les Tutsi et les Hutu cohabitaient sans problème au Rwanda, explique-t-elle. Puis les colons belges sont arrivés et ont dit que les Tutsi, qui sont minoritaires, étaient supérieurs. » Des tensions ont commencé à ce moment-là, au début du XXᵉ siècle. Un mouvement d’opposition aux Tutsi s’est développé et les premiers massacres ont commencé dès 1959. « Ce drame vous a-t-il dégoûté de l’Humanité ? » ou « Pouvez-vous pardonner? », interrogent d’autres collégiens. « Au départ, j’avais la haine contre les Hutu mais en même temps, j’ai été personnellement sauvée par un pasteur hutu. Dans la journée, je me cachais dans la brousse et le soir, je pouvais rentrer dans sa maison pour manger. Je ne sais pas si je pourrais pardonner aux tueurs mais au bout de dix ans, j’ai décidé de ne pas m’enfermer dans la haine qui est synonyme de malheur. » Au-delà des faits historiques, une leçon de vie est ainsi transmise aux collégiens. Une indispensable leçon pour espérer que la barbarie ne se reproduise pas. 
Catherine Mercadier

*Les mots « Tutsi » et « Hutu » ne prennent pas de « s » au pluriel dans la langue officielle du Rwanda, le kinyarwanda.
** En 1994, la population rwandaise est estimée à 7 millions de personnes. Tutsi et Hutu partagent la même langue, la même culture. À l’origine, les premiers sont plutôt des éleveurs, les seconds des agriculteurs.

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