565-breve-3--1500-CIMA_CIMA-_credit_David_Merle.jpg
« Matières premières », œuvre de Kapwani Kiwanga, laquelle a reçu le prestigieux Prix Marcel Duchamp 2021. © Mairie d’Ivry-sur-Seine - David Merle

Du visible, on retient de la visite de l’exposition au Crédac ces longs lés de papiers descendant du plafond jusqu’au sol ou ces répliques en verre de grains de riz tissés dans une tapisserie. De l’invisible - ou plus exactement de ce qui relève des traces ou du témoignage - ce sont les histoires de fugitifs échappant à l’esclavage et leurs stratégies de survie qui frappent le visiteur. Rien n’est jamais asséné. Tout est sensible, dans tous les sens du terme.

L’artiste franco-canadienne Kipwani Kiwanga réalise dans Cima Cima un travail fort, délicat et subtil. Le titre de l’exposition fait référence aux « cimarrones » ou « marrons », termes désignant ceux qui ont fui leur condition d’esclaves pour créer des communautés dans des lieux souvent peu accessibles. Lieux où ils ont dû s’adapter à leur environnement pour assurer leur subsistance.

Ainsi, les fameux lés de papier en fibres de canne à sucre de Matières premières évoquent les plantations. Les grains de riz en verre de Repository font référence aux récits oraux relatant l’importation en Amérique d’une variété africaine de la céréale par des femmes réduites à l’état d’esclavage.

Camouflage

« Tout mon travail a trait aux asymétries du pouvoir, voire aux rapports de domination, explique Kapwani Kiwanga. Mais ce qui m’intéresse, ce sont les gestes libérateurs, davantage que la structure qui oppresse. Comment vivre ? Comment survivre quand on doit s’échapper ? Ce qui amène à la question du camouflage, du visible et de l’invisible. »

Pour traduire ces questions, l’artiste multi-primée choisit de faire de la nature le témoin ou le reflet métaphorique de l’histoire de ces luttes humaines et des actions clandestines qui les ont accompagnées. Canne à sucre ou riz donc, mais aussi toute une faune dans Lazarus : quatre sérigraphies où l’on distingue les silhouettes blanches sur fond blanc d’espèces animales que l’on croyait éteintes et qui ont resurgi parfois des décennies après leur avis de disparition. « Ce n’est pas notre regard sur les choses qui fait qu’elles existent ou non », commente joliment Kapwani Kiwanga.

Elle qui a étudié l’anthropologie et la religion comparée à Montréal continue de puiser dans les sciences sociales pour nourrir sa pratique artistique. Elle a ainsi travaillé avec des ethnobotanistes et des anthropologues pour The Marias qui occupe toute une salle du Crédac. Dans une pièce peinte entièrement d’un jaune vif, « couleur ambivalente, gaie et violente », sont présentées les reproductions en fil d’acier et papier de fleurs de paon. Cette plante était utilisée par les femmes esclaves pour ses propriétés abortives. L’œuvre renvoie aussi à la naturaliste Anna Maria Sibylla Merian, connue pour ses illustrations botaniques, et aux riches épouses de l’époque victorienne, tenues de « s’occuper » en confectionnant, par exemple, des fleurs en papier…

L’artiste invitée Noémie Sauve, elle, constelle ses dessins de graines paysannes non brevetées par les pépiniéristes industriels. Dans Cima Cima, la résistance est partout en germe. On dit aussi « en puissance ».

Thomas Portier

Plus d’infos

Cima Cima jusqu’au 11 juillet au Centre d’art contemporain d’Ivry - Le Crédac : Manufacture des Œillets, 1 place Pierre Gosnat. 01 49 60 25 06.

Tables rondes autour de l’exposition sur Facebook/credac et credac.fr.
E-visite commentée à revoir sur le Facebook de la ville, avec Frédéric Ducarme, Docteur en écologie et chercheur associé au Muséum national d’histoire naturelle.

En lien avec l’initiative « Pour le climat, à Ivry on agit ! ».

Retour en haut de page