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Martine Harmel (Rose), Chantal Trichet (Hannah), Coco Felgeirolles (Margot), Sophie Rodrigues (Victoria) et Claire Aveline (Suzanne) composent la distribution des « Gardiennes ». © Mairie d’Ivry-sur-Seine - David Merle

Ce n’est pas à la querelle des anciens et des modernes que nous convie Nasser Djemaï dans sa dernière pièce. Les Gardiennes met en prise quatre vieilles amies et la fille presque quinquagénaire de l’une d’entre elles. La septième pièce écrite et mise en scène par le directeur du Théâtre des quartiers d’Ivry - Centre dramatique national du Val-de-Marne, raconte cependant « une guerre entre deux mondes, comme toutes mes pièces », confie-t-il. Mais il ne s’agit pas de mettre dos à dos un monde « d’avant » idéalisé dont il conviendrait d’être nostalgique à une « modernité » décevante.

Ce qui s’oppose ici, c’est un monde régi par le temps, hygiéniste, aussi quantifiable qu’implacable, et un autre plus impalpable, fait d’amour, de tendresse et de mystères, des choses qu’on n’achète pas. « Une présence », comme le qualifie l’auteur. « Évidemment, la pièce n’est pas là pour donner une réponse, un choix entre ces deux mondes, précise Nasser Djemaï. Chacun est obligé d’avancer entre ces vérités. Et quand il y a contradiction ou paradoxe, alors il y a théâtre. »

On suit Victoria qui rend visite à Rose, sa mère dépendante, afin de la placer dans un Ehpad, censément plus pratique et sécurisant. Anciennes collègues de filature textile et voisines, Hannah, Suzanne et Margot ont emménagé chez Rose pour prendre soin d’elle à leur façon, avec une débrouillardise tendre mais hors cadre. Elles considèrent les intentions de la fille de leur amie comme une intrusion.

Dans l’intérieur modeste et banal de Rose surgit très tôt une étrangeté : une pièce est inaccessible, des objets se mettent à disparaître et à réapparaître... Dans ce glissement insidieux vers une forme de folie, la pragmatique Victoria, radiologue surmenée et mère célibataire, perd pied petit à petit. « Si la mère est dépendante, la fille l’est aussi pour d’autres raisons : elle est l’archétype d’un monde qu’elle subit sans en avoir conscience, une forme d’aliénation », souligne le dramaturge. En partant d’un fait aigu de société - le vieillissement et la dépendance -, Nasser Djemaï se demande comment refaire communauté pour échapper aux griffes de la solitude.

Onirique

Mais il ne s’arrête pas au naturalisme : le fantastique s’invite au débat dans ce texte envisagé comme « une fable dont la seule éventuelle morale serait qu’il faut composer puisqu’il n’y a pas une seule bonne solution ». Langue simple et situations de départ plausibles laissent place à un réalisme onirique.

D’ailleurs, personnages et situations convoient d’autres mythologies : ici, la scène du cake d’amour de Peau d’âne ; là, les trois Parques, ces fileuses divines qui tissent la destinée humaine, à moins que ce ne soient les trois sorcières du Macbeth de Shakespeare qu’on entraperçoive… Scénographie, créations visuelles et sonores orchestrent le basculement d’un monde à l’autre. Et les cinq comédiennes chevronnées subliment un texte tour à tour drôle, tendre, inquiétant et déchirant : humain.

Thomas Portier

Les Gardiennes de Nasser Djemaï du 9 au 25 novembre au Théâtre des Quartiers d’Ivry - Centre dramatique national du Val-de-Marne : la Manufacture des Œillets, 1 place Pierre Gosnat. 01 43 90 11 11. 

Découvrez l’interview vidéo de Nasser Djémaï, auteur et metteur en scène des Gardiennes ; et directeur du Théâtre des Quartiers d’Ivry-Centre dramatique national.

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